Notre univers quotidien est envahi de dérivés marchands de la littérature de fiction. L’Industrie Culturelle et Créative (ICC), florissante, nous inonde d’adaptations ou de créations cinématographiques et télévisuelles, de jeux vidéos, de parcs à thème, de circuits touristiques et de gadgets divers qui renvoient à des scénarios de fiction. Ce phénomène témoigne de manière quantitative du plaisir communément éprouvé de mêler notre existence à des univers imaginaires. De même, on aurait tort de juger de l'impact de la littérature en ne la jaugeant qu'à l'aune des lecteurs, en baisse, alors qu'il faudrait la mesurer au besoin d'écrire et de publier, en hausse exponentielle. L'humanité est par essence l'« l’espèce fabulatrice » dit Nancy Huston. À quoi tient cette puissance d’attraction de la fiction ?

Comment se fait-il que des fictions interpellent les individus d'une manière singulière et puissent les enchanter un moment et parfois même bouleverser leur vie ? Grâce à quels dispositifs des histoires et des personnages permettent-ils, à ceux qui les inventent et à ceux qui les reçoivent, de trouver une signification à leur existence ? De quelle puissance ces créations sont-elles dotées pour parvenir à fédérer des « fans » qui redécouvrent par elles le sens de la communauté et du partage d'affinités électives ? Par quels moyens réussissent-elles à créer du lien là où d'autres stratégies ne cessent d'échouer ? Peuvent-elles encore, dans un contexte de massification des productions culturelles, exprimer des questions essentielles ? Est-il possible que, comme les mythes, elles se fassent universelles — ou serait-ce plutôt l'une des illusions qu'elles s'ingénient à déployer ?