Non, la fidélité n’est pas plus facile en théorie qu’en pratique. Car le problème qu’elle pose à la pensée est entier. D’un côté, si « la fidélité (fides) s’appelle ainsi parce qu’on fait ce qu’on a dit (fiunt dicta) » (saint Augustin), le moindre manquement à l’engagement contracté constituera la pire des vilenies. L’infidèle trahira celui à qui il l’a jurée au moment même où il lui promit ceci, en même temps que celui qu’il fut lorsqu’il fit cela, jusqu’à l’humanité entière d’une certaine manière. Rien d’étonnant partant à ce que la fidélité soit recommandée, mieux, commandée : de fait, le devoir de fidélité est cette obligation qui nous est faite non seulement d’être mais, bien plus, de rester attachés à nos affections et à nos devoirs. Or, de droit, chacun verra là le b.a.-ba de la moralité. D’un autre côté, force est de constater que « la violence qu’on se fait pour demeurer fidèle à ce qu’on aime ne vaut guère mieux qu’une infidélité » (La Rochefoucauld). Lorsque nous manquons de l’excuse que peut constituer l’infidélité de l’autre pour ne pas avouer la nôtre, conséquence non de notre capacité à être méchant le plus souvent, mais de notre incapacité à rester les mêmes, l’alternative est aussi stricte que dramatique : il nous faut soit tromper, soit nous tromper - ce que rien ni personne ne saurait justifier. C’est que la fidélité fige l’homme lige cependant que tout est mouvement. Que dire dès lors si être fidèle, c’est peu ou prou le rester, mais que le rester coûte que coûte revient à ne plus l’être ? De même qu’un devoir de fidélité absolue nie absolument la fidélité, de même, admettre des degrés dans la fidélité en signe le degré zéro. À l’heure où la fidélité demeure une valeur mais où l’infidélité, plus que jamais, est une réalité, et alors que la loi n’a pas défini son devoir, que la jurisprudence affaiblit à tâcher de le préciser, n’est-il pas temps, en philosophant, non pas de juger, mais de comprendre quand commence et où s’arrête la fidélité ?